A l’exception des couples mariés sous un régime communautaire pour lesquels l’acquisition commune tombe en principe dans la communauté, tous les autres couples (concubins, partenaires, époux liés par un régime séparatiste…) sont soumis au régime de l’indivision pour leur acquisition commune.

Toute acquisition commune en indivision pose deux problèmes :

  • Le premier que l’on pourrait dire mathématique : Déterminer les proportions de chacun dans le bien acquis
  • Le second plus juridique : Déterminer les obligations contributives de chacun des acquéreurs sur ce bien acquis en indivision

I. Déterminer les proportions de chacun des acquéreurs d’un bien indivis

Les proportions d’acquisition mentionnées dans le titre de propriété sont essentielles car elles conférent la qualité de propriétaire à due concurrence (1) mais elles ne correspondent pas toujours au financement réellement effectué.

L’acte de propriété devra fixer avec exactitude le financement prévu par chacun avec la prise en compte de l’apport personnel (financement immédiat) et de l’emprunt (financement futur). Il devra également bien préciser les modalités de calcul de ces proportions.

Il faut noter que cette répartition patrimoniale qui s’applique dans tous les cas d’indivisions pourrait également avoir une influence dans un régime communautaire pour déterminer si le bien acquis sera commun ou propre en cas de financement par les deux patrimoines.

Le prêteur exigera que les acquéreurs s’engagent solidairement et indivisément à rembourser le prêt, mais les acquéreurs peuvent prévoir entre eux des contributions différentes pour le remboursement du prêt qui ne seront pas opposables au créancier. Cela leur permet par exemple de combler une différence d’apport personnel et de tenir compte de leurs possibilités de remboursement.

Souvent les calculs effectués ne tiennent pas compte des intérêts de l’emprunt, et en raison de l’augmentation des taux d’intérêts que nous avons connu ces dernières années, les plans de financement devraient prendre en compte les intérêts de l’emprunt et le coût de l’assurance-décès, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui.

A – Détermination des proportions d’acquisition sans tenir compte des intérêts payés

Par exemple Monsieur A et Madame B envisagent d’acquérir un bien pour un montant total de 170.000 € comprenant le prix, les frais d’acquisitions, la commission d’agence et les frais du prêt.

Cet investissement sera financé par :

Un apport personnel de Madame B de 20.000 € et un prêt de 150.000 € à taux fixe de 3,50 % remboursable par 240 mensualités de 932 € intérêts compris. Les parties ont convenu de prendre en charge le règlement des mensualités dans les proportions suivantes :

  • Monsieur A : 60 %
  • Madame B : 40 %

Bien souvent la pratique détermine de la façon suivantes les proportions d’acquisition

B – Détermination des proportions d’acquisition en tenant compte des intérêts payés

Pour tenir compte des intérêts qui vont être payés pendant le remboursement du prêt, il serait préférable de calculer de la manière suivante.

Les mensualités du crédit s’élèvent à 932 € soit au total pour les 240 échéances : 223.680 €

  • que Monsieur va financer à hauteur de 60 % soit 559,20 € soit pour les 240 échéances : 134.208 €
  • et Madame va financer à hauteur de 40 % soit 372,80 € soit pour les 240 échéances : 89.472 €

Le résultat est donc le suivant

Il résulte de cet exemple, selon la méthode de calcul employée une différence dans les proportions soit 2,14 % en plus pour Monsieur et en moins pour Madame.

La détermination de ces proportions d’acquisition lors de l’achat confère à chacun des acquéreurs des droits de propriété sur le bien que les prévisions de remboursement soient respectées ou non.

De plus, ces proportions de propriété ne reflèteront la réalité que si les conditions suivantes sont cumulativement respectées :

  • 1° Le prêt est entièrement remboursé
  • 2° Chacun des acquéreurs a respecté les prévisions de financement

C – Détermination de la « Proprieté financière »

En cours de remboursement du prêt ou en cas de modification des prévisions de financement, il est nécessaire d’opérer une distinction entre les droits de propriété de chacun (ceux inscrits dans l’acte) et le financement réel de chacun qui évolue constamment à chaque paiement des mensualités.

Le plus souvent c’est lors d’une vente intervenant avant le remboursement complet du prêt que cette distinction doit être opérée, chacun des indivisaires souhaitant récupérer suite à la vente, la proportion exacte de son investissement.

Cette proportion d’investissement n’est pas définie par un terme juridique spécifique mais des auteurs (2)/ préconisent le terme de « propriété financière » pour désigner les sommes réellement versées par chacun des acquéreurs tant par leur apport personnel lors de l’acquisition que par les échéances payées lors du remboursement de l’emprunt. Cette « propriété financière » varie en fonction des remboursements et l’on devient propriétaire financier au fur et à mesure des paiements effectués.

La «propriété financière » dans notre hypothèse de départ est illustrée dans le graphique ci-dessous :

En bleu la » propriété financière » de Monsieur A et en vert la « propriété financière » de Madame B
Sur ce graphique l’on constate que la « propriété financière » n’est pas linéaire car il s’agit du rapport financé par chacun des acquéreurs sur le versement total effectué…

Lors de l’achat seule Madame B a financé 20.000 € Monsieur A n’a rien financé (la première échéance n’ayant pas eu lieu..), la propriété financière de Madame B est donc bien de 100 % à ce moment et la «propriété financière » de Monsieur A est de 0 % .

Par la suite les proportions vont s’inverser pour arriver au terme du prêt une « propriété financière » de Monsieur A de 55,08 % et une propriété financière de Madame B de 44,92 %

En cas de vente avant le remboursement complet du prêt, Il faut donc tenir compte de cette « propriété financière » pour répartir entre les acquéreurs, le solde du prix de vente après le remboursement anticipé du prêt.

A ces difficultés techniques de déterminer les proportions de chacun dans le bien acquis en indivision, la Cour de cassation a rajouté une difficulté juridique en modifiant dans certains cas les obligations contributives de chacun des acquéreurs d’un bien indivis. En effet des décisions récentes de la jurisprudence considèrent que dans certains cas, il n’y aurait pas lieu de tenir compte des proportions d’acquisition de chacun mais des facultés contributives de chacun des acquéreurs. De plus, en raison d’une clause souvent intégrée dans les contrats de mariage, l’époux qui aurait sur-contribué par rapport à sa proportion d’acquisition ou ses facultés contributives pourra être privé de toute faculté d’agir contre son conjoint.

II. Les obligations contributives de chacun des indivisaires sur le bien acquis en indivision

Il se dessine au gré de différents arrêts de la Cour de cassation, une nouvelle politique jurisprudentielle concernant les créances conjugales relatives à une acquisition immobilière d’un logement à usage familial. Cette jurisprudence pourrait bouleverser les prévisions des époux concernant leurs proportions d’acquisition d’un bien.

Au préalable, il faut noter que cette jurisprudence ne concerne pas seulement le couple marié mais aussi les partenaires de PACS (3) et les concubins (4).

La jurisprudence a en effet modifié la définition des charges du mariage, ce qui s’applique à l’aide matérielle prévue par le PACS et aux charges de la vie commune pour le concubinage (A). Une des conséquences de cette nouvelle qualification est un bouleversement de la preuve à établir en cas de sur ou de sous contribution de l’un des époux. (B)

A – La nouvelle qualification des charges du mariage

L’hypothèse est la suivante : L’un des membres du couple réclame une créance pour avoir financé des travaux sur un bien, au-delà de sa quote-part de propriété dudit bien. L’autre conjoint tente de neutraliser cette prétention en invoquant l’argument suivant : Le financement de la sur-contribution effectué par son conjoint résulte uniquement de son obligation de contribuer aux charges du mariage. Il ne peut donc prétendre à aucun remboursement pour avoir sur-contribué pour financer cette acquisition puisqu’il aurait uniquement exécuté son obligation de contribuer aux charges du mariage.

Fondamentalement, la contribution aux charges du mariage prévue à l’article 214 du Code Civil est une source de financement des dépenses courantes, très largement entendues, allant des dépenses alimentaires à celles du train de vie du ménage. De telles dépenses ne devaient pas avoir de conséquences sur le patrimoine respectif de chacun des époux. L’article 214 du Code Civil dispose que, sauf disposition particulière des conventions matrimoniales, chacun des époux doit contribuer aux charges du mariage à proportion de ses facultés.

Mais La Cour de cassation a modifié le périmètre des charges du mariage en qualifiant de charges de mariage, le remboursement d’un emprunt souscrit pour financer l’achat d’un logement à usage familial. (5). Par un arrêt ultérieur (6), la portée de ce bouleversement a bien été circonscrite au seul remboursement d’un emprunt. Cet arrêt du 5 avril 2023 confirme que sauf convention contraire, l’apport en capital de fonds personnels réalisé par un époux séparé de biens pour financer la construction d’un bien personnel du conjoint et affecté à l’usage familial ne participe pas de l’exécution de l’obligation de contribuer aux charges du mariage. Mais même circonscrit à l’emprunt le changement est d’importance.

La conséquence de cette qualification est qu’en pratique l’époux qui aurait sous-contribué lors de l’acquisition d’un logement à usage familial pourra dans bien des cas bloquer toute revendication de son conjoint puisqu’il ne s’agit pas d’une créance entre époux mais de charges du mariage qui dépendent non des proportions d’acquisition mais de ses facultés contributives.

En acceptant de qualifier de contribution aux charges du mariage des dépenses d’investissement relatives au logement à usage familial, la jurisprudence outre le fait qu’elle bouleverse le régime de la séparation en le rendant en partie « communautaire», semble changer la nature de la contribution aux charges du mariage et donner à l’article 214 du Code Civil une nouvelle portée.

Dans cette hypothèse (Acquisition d’un logement à usage familial au moyen d’un emprunt), l’obligation contributive de chacun des époux ne serait donc pas fixée par les proportions d’acquisition que nous avons essayé de déterminer dans la première partie mais par les règles particulières des charges du mariage. L’époux qui aurait sur-contribué en se référant aux proportions d’acquisition, ne pourrait pas réclamer sa créance si sa sur-contribution correspond à ses facultés contributives.

B – La preuve de la sur-contribution dans le cadre des charges du mariage

De plus, pour éviter des comptes fastidieux et au résultat aléatoire, les formules de contrat de mariage prévoient quasiment systématiquement une clause dite « de contribution au jour le jour » aux termes de laquelle « les époux sont réputés avoir fourni au jour le jour leur part contributive de sorte de n’être assujetti à aucun compte entre eux. L’objectif de la clause est d’anticiper le règlement du contentieux portant sur la sous-contribution ou la sur-contribution des époux aux charges du mariage au regard de leurs revenus respectifs.

Cette clause peut donc annihiler toute possibilité pour le demandeur de faire valoir sa sur-contribution aux charges du mariage (et donc au financement d’un bien avec la nouvelle définition jurisprudentielle) ou la sous-contribution de son conjoint.

Selon sa rédaction cette clause de contribution au jour le jour peut être interprétée par les tribunaux comme une clause de non-recours entre les parties ayant la portée d’une fin de non-recevoir. Elle peut aussi être interprétée comme ayant pour effet de renverser la charge de la preuve, ce qui en fait une présomption et la nature de cette présomption simple ou irréfragable relève de l’interprétation souveraine des juges du fond. L’incertitude était d’autant plus forte qu’un arrêt de 2018 (7) retenant une présomption irréfragable laissait la possibilité à l’époux de démontrer qu’il a excédé sa contribution aux charges du mariage….

Heureusement, après des hésitations jurisprudentielles, la jurisprudence semble désormais bien fixée (8) : la présomption irréfragable neutralise la preuve, comme la clause de non recours neutralise l’action. La seule zone d’incertitude réside désormais dans la qualification de la présomption qui relève du pouvoir souverain des juges du fond qui peuvent analyser la clause comme une clause de style.

Pour conclure nous pouvons dire qu’une opération qui semble bien simple : une acquisition par deux personnes peut révéler bien des surprises et le recours à un notaire semble indispensable. En effet, il faut lors de l’achat : connaitre et préciser le mode de calcul des proportions d’acquisition, pendant la période de remboursement vérifier si les remboursements effectués correspondent aux remboursement prévus et enfin à l’issue du remboursement savoir que la créance pour une sur-contribution si difficilement déterminée pourrait être annihilée par l’application de la jurisprudence relative aux charges du mariage et par une clause habituelle des contrats de mariage.

(1) Solution constante de la Cour de Cassation
Cass 1ère Civ 31 mai 2005 n° 02-20.553, Cass 1ère Civ 23 janv 2007 n° 05-14.311
(2) Edouard TAQUET, Myriam FRADON et Philippe HEINRICH JCPN n° 21 26 mai 2017
(3) Aide matérielle Code Civ art 515-4 et Cass 1ère Civ 27 janv 2021 n° 19-2-140
(4) Charges de la vie commune C Civ 1ère 2 sept 2020 n° 19-10-477
(5) C Cass 1ère Civ 3 oct 2019 n) 18-20.828
(6) C Cass 1ère Civ 5 avril 2023 n° 21-22 296
(7) C Cass 1ère Civ 17-25.858
(8) ) Cass 1ère Civ 13 mai 2020 n° 19-11.444 ; Cass 1ère Civ 18 nov 2020 n° 18-20.828
Cass 1ère Civ 21 juin 2023 n° 21-25.326

Article écrit par : Maître Jean-Marie BOYER