Lorsque la mémoire d’un adulte flanche, que ses capacités de jugement dérapent, et que ses facultés intellectuelles sont altérées, il n’est plus en état d’administrer ses biens et d’effectuer lui-même ses opérations courantes. Si des mesures de protection peuvent être prononcées a posteriori par la justice, il existe aujourd’hui plusieurs moyens d’anticiper sa propre perte d’autonomie, et de choisir comment seront gérés ses biens si l’on se retrouve dans une situation de dépendance.
Les mesures d’anticipation
La plus répandue : le mariage
C’est peu connu, mais le mariage permet d’agir au nom de son époux empêché. Si une personne est hors d’état de manifester sa volonté (c’est le cas avec la maladie d’Alzheimer ou un coma), son époux peut agir en son nom pour les actes importants. Il faudra toutefois l’autorisation du juge des affaires familiales, qui ne se décidera que sur la foi d’un certificat médical. Cette autorisation permet de débloquer des situations lourdes. Par exemple, si le logement des époux n’est plus adapté en raison de la mobilité réduite de l’un ou de l’autre, le juge peut donner son accord à une vente.
La moins utilisée : le mandat à effet posthume
Cette solution permet de confier la gestion de ses affaires à une personne de confiance pendant une durée maximale de cinq ans. On la rencontre le plus souvent chez les chefs d’entreprise, car c’est pour eux qu’il est le plus adapté : il donne de la souplesse et surtout du temps à leurs successeurs. Les cinq ans du mandat permettent au mandataire de s’occuper de la société, et même de la vendre dans de bonnes conditions, et non dans l’urgence, en prenant le risque de la brader.
La plus révolutionnaire : le mandat de protection future
Depuis sa création en 2007, il est encore peu utilisé, et pourtant il permet à celui ou celle qui l’établit de décider à l’avance, et alors qu’il est en pleine possession de ses moyens, comment seront gérés ses biens, et surtout par qui.
Il est possible de rédiger un mandat de protection future sous seing privé, mais il n’autorisera que les actes de gestion et d’administration. Le mandataire ne pourra pas réaliser de vente en cas de besoin.
Un mandat de protection future établi sous la forme d’un acte authentique, chez un notaire, permet d’anticiper davantage de situations, notamment celles où il faut céder des biens pour subvenir aux besoins de la personne dépendante. Il est aussi possible de définir, si l’on n’a pas besoin de céder tous les biens, quels sont ceux qui seront vendus en priorité. Le mandant, c’est-à-dire la personne qui prend l’initiative du document, peut désigner un ou plusieurs mandataires, une tierce personne ou ses enfants. S’il y a plusieurs mandataires, il peut leur laisser la possibilité d’agir ensemble ou séparément, ou décider des attributions de chacun.
Le jour où la personne qui a rédigé le mandat voit ses facultés intellectuelles altérées, le mandat peut être mis en œuvre facilement. Il suffit d’obtenir un certificat médical délivré par un médecin expert auprès de la cour d’appel, que l’on dépose au greffe du tribunal d’instance en y joignant une copie du mandat. L’entrée en vigueur est donc légère : ni le juge ni l’avocat n’ont besoin d’intervenir, ce qui réduit considérablement les délais.
Pendant le mandat, le ou les mandataires doivent rendre des comptes de gestion auprès du notaire qui a rédigé l’acte, en lui faisant parvenir tous les ans une synthèse des opérations effectuées et les justificatifs. En cas de doute sur une opération qu’il trouve suspecte, le notaire pourra saisir le juge des affaires familiales.
Bon à savoir : le mandat de protection future est révocable à tout moment. Si le signataire/mandant change d’avis, il lui est tout à fait possible de l’annuler, d’en modifier les modalités ou de changer le nom des mandataires.
Les mesures a posteriori
Sauvegarde de justice, curatelle et tutelle
Malheureusement, les situations de dépendance n’ont pas toujours été anticipées. Il est possible, lorsque l’on se rend compte qu’une personne perd de plus en plus régulièrement ses moyens, de saisir le juge des tutelles pour qu’il prononce une mesure de protection judiciaire. Guidé par l’avis du médecin expert, il peut prononcer une sauvegarde de justice (mesure la plus légère), ou une curatelle, qui permet d’assister la personne fragile dans ses actes importants, comme la vente d’un appartement. Enfin, lorsque le médecin expert établit que les facultés mentales du patient sont totalement altérées, le juge peut décider de protéger la personne en la plaçant sous tutelle pour une durée (renouvelable) de cinq ou dix ans. Désigné par le juge, le tuteur lui rend des comptes tous les ans, et il doit avoir son autorisation pour effectuer des actes importants, comme la vente d’un bien immobilier ou la gestion d’un contrat d’assurance vie.
Moins radical : l’habilitation familiale
Moins radicale que la mise sous tutelle ou sous curatelle, et possible à mettre en place lorsque la personne est déjà affaiblie, l’habilitation familiale peut permettre de résoudre quelques situations complexes. Lorsqu’une personne ne peut plus manifester sa volonté, son entourage peut désigner un membre de la famille pour gérer ses biens. La décision est entérinée, après avis du médecin expert, par le juge des tutelles. Toutefois il faut absolument que tous les héritiers réservataires et leurs enfants majeurs soient d’accord, ainsi que le conjoint ou le partenaire de pacs, et ses frères et sœurs. Le parent habilité pour gérer les biens n’a pas de comptes à rendre au juge ou à la famille. En revanche, le jour où la personne décède, ou si au contraire elle se rétablit, il faudra dresser la liste des actes passés. L’habilitation familiale peut durer dix ans, et elle est renouvelable une fois pour vingt ans au maximum.
Après la mort soudaine de François, son mari depuis cinquante-cinq ans, Brigitte s’effondre et tombe dans une très lourde dépression. Démunis, ses enfants tentent de la soutenir sur le plan psychologique, mais le notaire les presse aussi de faire avancer la succession de François. Pourtant, Brigitte, même si elle ira sans doute mieux dans quelques années, n’est pas suffisamment bien portante pour signer les actes de la succession de son mari.
Sur les conseils du notaire, les enfants, les petits-enfants et le frère de Brigitte se mettent d’accord pour désigner Valérie, l’aînée des enfants de Brigitte et François. Le médecin expert près des tribunaux est sollicité pour rendre un avis médical, et le juge des tutelles entérine une habilitation familiale. Valérie pourra signer les documents à la place de Brigitte, et la succession de François pourra être réglée.