Les libéralités graduelles et résiduelles, souvent négligées, car méconnues dans les discussions sur la planification successorale, offrent des opportunités uniques pour optimiser la transmission de patrimoine.

Ces dispositifs, introduits et affinés par la réforme du 23 juin 2006, permettent aux testateurs et donateurs de structurer leurs successions avec une flexibilité et une précision accrues.
Comprendre ces outils est essentiel pour toute personne souhaitant assurer une gestion efficace de ses biens tout en minimisant les impacts fiscaux.

Cet article se propose de détailler les intérêts civils et fiscaux des libéralités substitutives et met en lumière leur utilité pratique et leur pertinence dans le cadre d’une stratégie patrimoniale bien pensée.

I. L’INTÉRÊT CIVIL DES LIBÉRALITÉS SUBSTITUTIVES

A. Une innovation de la réforme du 23 juin 2006

La réforme du 23 juin 2006 a marqué un tournant décisif dans le droit des successions en France.
Avant cette date, les options pour structurer les transmissions de patrimoine étaient limitées et souvent inadaptées aux besoins des familles modernes.
Avec cette réforme, le législateur a introduit les libéralités graduelles et résiduelles qui répondent à une demande croissante pour des outils de gestion patrimoniale plus souples et personnalisés.

1. La modernisation du droit successoral

La modernisation du droit successoral par cette réforme a permis de mieux répondre aux attentes des disposants (donateurs ou testateurs) et de leurs héritiers.
Les libéralités graduelles et résiduelles, en particulier, proposent des solutions innovantes pour éviter les conflits familiaux et assurer une transition patrimoniale en douceur.
Ces dispositifs permettent d’anticiper les évolutions possibles dans les situations familiales, tout en garantissant la sécurité juridique des transmissions.

2. L’importance de l’accompagnement notarial

Le rôle du notaire est primordial dans la mise en place de ces dispositifs. En tant qu’expert juridique, il guide les disposants dans la structuration de leur succession et s’assure que les libéralités soient conformes à la loi et adaptées aux objectifs patrimoniaux de chacun.
Le notaire aide également à prévoir les conséquences potentielles des libéralités sur les relations familiales et sur la gestion des biens.

B. Un nouveau dispositif de transmission patrimoniale

Graduelle ou résiduelle, chacune de ces libéralités est réalisée à l’attention de bénéficiaires successifs : il y a donc substitution de personnes. La différence entre ces deux formes de libéralité tient à la capacité d’agir du bénéficiaire en 1er.

1. La libéralité graduelle

La libéralité graduelle permet à un bien de passer successivement entre les mains de plusieurs bénéficiaires.
Le premier bénéficiaire reçoit le bien avec l’obligation de le transmettre à un second bénéficiaire désigné par le testateur à son décès. Ce qui suppose l’obligation de le conserver.
Ainsi, pour « lutter » contre un enfant prodigue, le recours a cette libéralité le protégera de ses propres travers et sera de nature à rassurer le disposant.
Pour autant, on ne peut pas assimiler les droits du 1er gratifié à ceux d’un usufruitier.
En effet, le 1er gratifié est bien propriétaire de l’immeuble, mais sa propriété est grevée d’une charge : celle de conserver pour être transmise.
Précision ici faite que la charge de conserver et de transmettre ne grève que le 1er gratifié.
Ce mécanisme assure que le bien reste au sein de la famille ou d’un cercle précis de bénéficiaires et offre une continuité dans la gestion patrimoniale.

  • a) Les avantages pour la continuité familiale
    La libéralité graduelle est particulièrement utile pour maintenir un bien dans la famille sur plusieurs générations.
    Au moyen de cette libéralité, de son vivant ou à cause de morts, le disposant s’assure de la conservation du bien sur plusieurs générations.
    Dans une famille recomposée, le défunt laisse pour lui survivre des enfants issus d’une 1ère union et des enfants issus de sa dernière union avec un nouveau conjoint. La libéralité graduelle constitue une alternative au classique démembrement Usufruit / Nue propriété avec une différence majeure, le conjoint survivant sera pleinement propriétaire sans être en démembrement ; toutefois, il aura la charge de conserver le bien pour le transmettre aux enfants de son époux prédécédé issus de sa 1ère union.
    Au décès du conjoint survivant, les biens reviendront à la famille par le sang.
    Cela permet de préserver l’intégrité du patrimoine familial tout en offrant une certaine sécurité juridique.
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  • b) Les implications juridiques et pratiques
    Il est nécessaire de comprendre les implications juridiques de la libéralité graduelle. Il est impossible au premier gratifié de disposer du bien, vif ou mort, sans l’accord du second gratifié.
    Et c’est au disposant ( donateur/testateur) de prévoir les garanties nécessaires au respect de la charge.
    Naturellement, lorsque la libéralité graduelle concernera un immeuble, la charge grevant la libéralité sera soumise à publicité.
    Cette restriction au pouvoir de disposer doit être clairement expliquée et acceptée par toutes les parties prenantes pour éviter des conflits futurs.

2. La libéralité résiduelle

La libéralité résiduelle réalise toujours cette substitution de personnes ; en revanche, la libéralité résiduelle permet à un bien d’être légué à un premier bénéficiaire avec la liberté de l’utiliser/en disposer comme bon lui semble, tout en stipulant qu’au décès de ce premier bénéficiaire, le reliquat du bien – si reliquat il y a – sera transmis à un second bénéficiaire désigné.
Ce mécanisme offre plus de souplesse au 1er gratifié, une plus grande liberté d’action, tout en permettant une transmission ultérieure à un second gratifié désigné.

  • a) Les bénéfices en termes de flexibilité
    Cette libéralité est avantageuse pour les testateurs/donateurs souhaitant offrir une certaine liberté d’utilisation du bien à un premier bénéficiaire tout en garantissant que ce qui subsiste du bien à son décès soit transmis à un second bénéficiaire.
    À l’inverse de la libéralité graduelle, la libéralité résiduelle ne contraint pas le 1er gratifié à conserver les biens reçus, elle ne l’oblige qu’à transmettre les biens subsistants, s’il en subsiste.
    Par exemple, un testateur peut léguer une somme d’argent à son conjoint avec la condition que le reliquat soit transmis à leurs enfants après le décès du conjoint.
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  • b) Les précautions à prendre
    Il est essentiel de prévoir des mécanismes de suivi et de contrôle pour s’assurer que le bien ne soit pas totalement consommé avant sa transmission au second bénéficiaire.
    Pour autant, le Code civil prévoit que le 1er gratifié a tout pouvoir sur le bien reçu sauf celui de léguer ou donner le bien reçu à titre de résiduel.
    Le rôle du notaire permet d’établir des clauses claires et juridiquement robustes.

2. L’extension du dispositif aux donations

Avec la réforme, ces dispositifs ne se limitent plus aux successions, mais s’étendent également aux donations de son vivant. Cela permet aux donateurs d’organiser la transmission de leur patrimoine de manière anticipée et stratégique.

  • a) Les avantages des donations anticipées
    Les donations graduelles et résiduelles permettent de structurer la transmission des biens de manière proactive. Les donateurs peuvent ainsi anticiper les besoins futurs des bénéficiaires et ajuster les transmissions en fonction des évolutions patrimoniales et familiales.
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  • b) Les aspects pratiques et juridiques
    Il est important de bien structurer ces donations pour éviter des problèmes juridiques ultérieurs. Le notaire assure que les intentions du donateur soient respectées et juridiquement valide.

II. L’INTÉRÊT FISCAL DES LIBÉRALITÉS SUBSTITUTIVES

A. Une optimisation fiscale recherchée

L’un des principaux attraits des libéralités substitutives réside dans leur potentiel d’optimisation fiscale. En structurant soigneusement les transmissions de patrimoine, il est possible de réduire considérablement les droits de succession et les autres impôts liés à la transmission des biens.

En effet, l’article 1051 du code civil dispose que « le second gratifié est réputé tenir ses droits de l’auteur de la libéralité ». Fiscalement, la logique est la même : Le légataire ou le donataire institué en premier est redevable des droits de mutation à titre gratuit sur l’actif transmis dans les conditions de droit commun. Le légataire ou donataire gratifié en second n’est redevable d’aucun droit lors de la première mutation.

Tout l’intérêt fiscal se révèle au second décès ( celui du 1er gratifié) : au décès du premier légataire ou donataire, l’actif transmis est taxé d’après le degré de parenté existant entre le testateur ou le donateur et le second bénéficiaire du legs ou de la donation résiduelle ou graduelle.

1. Les mécanismes fiscaux d’optimisation

Les deux bénéficiaires doivent tout de même acquitter des droits de donation, mais pas au même moment.
Au moment de la première transmission, le premier donataire est redevable de droits de mutation à titre gratuit en fonction de son lien de parenté avec le donateur.
Au décès du premier bénéficiaire, le second donataire est également redevable de droits de donation en corrélation avec son degré de parenté avec le donateur initial et non pas avec le premier donataire.

Ces taxations sont calculées après déduction de l’abattement et selon le barème des droits de donation (et non pas de succession) qui sont déterminés en fonction du lien de parenté avec le donateur.
Ainsi, Monsieur X donne de son vivant un bien à son fils, à charge pour ce dernier qu’il revienne à son petit fils (au décès de son fils). À l’époque de la donation par X, les droits de donation en ligne directe seront acquittés, le cas échéant, après application de l’abattement de 100.000€. Au décès du fils, le petit fils recevra le bien en s’acquittant de droits en ligne directe, mais bénéficiera également de l’abattement de 100.000€ (s’il est disponible).

En effet, en matière de transmission consentie entre ascendant et descendant en ligne directe, l’abattement appliqué est de 100 000 €. L’abattement n’est pas limité concernant le degré de parenté aux ascendants. En revanche, pour la descendance, son application est limitée aux enfants du défunt et à leurs représentants, en cas de donation d’un grands-parents à un petit-enfant si le père est décédé par exemple.
Ainsi, le petit-enfant bénéficiera de l’abattement de 100.000 € et non seulement celui de 31.865 €.
L’utilisation de ce mécanisme sera également particulièrement intéressante au sein d’une fratrie considérant la fiscalité applicable en ligne collatérale.

Prenons un père avec deux enfants, Paul (1er gratifié) et Jacques (2nd gratifié).
Au décès du 1er gratifié, Paul ; tout se passe comme si Jacques recevait de son père ; Jacques fait ainsi l’économie d’une fiscalité à 35/45% et bénéficiera ainsi des tranches basses du barème en ligne directe après un abattement de 100.000 €.

Enfin, ce qui ne gâche rien, les droits acquittés par le premier gratifié (légataire ou donataire) sont imputés sur les droits dus sur les mêmes biens par le second légataire ou donataire.

2. La situation de l’enfant handicapé

La donation ou le legs graduel ou résiduel permettra de transmettre à l’enfant handicapé un bien immobilier pour lui garantir un toit sa vie durant ou un compte titre pour lui procurer des revenus complémentaires.

Ce schéma de transmission est intéressant pour l’enfant en situation de handicap, car cela permet de lui garantir un cadre et niveau de vie sans priver pour autant ses frère et/ou sœur de leurs droits.
Pour garantir les frères et/ou sœur qu’ils recevront bien au décès du 1er gratifié ce qu’ils n’ont pas reçu au décès de leur parent, on optera pour un legs graduel qui assure la transmission du bien au 2nd gratifié.
Et comme précisé supra, le 2nd gratifié ne sera pas lésé fiscalement dans la mesure où il bénéficiera de la fiscalité applicable en ligne directe (abattement de 100.000 € et tranches basses du barème).

La donation résiduelle ou le legs laissera davantage de souplesse au 1er gratifié dans la mesure où il n’a pas d’obligation de conserver le bien transmis : il peut être vendu, ou consommé partiellement lorsqu’il s’agit d’un portefeuille de titres ou d’une somme d’argent. Les seconds donataires récupéreront alors, au décès de la personne handicapée, les résidus de cette donation, c’est-à-dire ce qu’il en reste.

B. Une optimisation fiscale sécurisée

1. Les garanties juridiques

Les libéralités substitutives offrent des garanties juridiques solides, car elles sont encadrées par le droit. Cela assure une sécurité juridique tant pour le testateur que pour les bénéficiaires, évitant les litiges et les contestations.

2. Le rôle du notaire

Le notaire est essentiel pour s’assurer que les libéralités sont mises en œuvre conformément à la loi et de manière à maximiser les avantages fiscaux. Il aide à structurer les libéralités de manière à éviter les pièges fiscaux et à garantir la conformité avec les réglementations en vigueur.

CONCLUSION

Les libéralités graduelles et résiduelles représentent des outils puissants pour une gestion patrimoniale efficace et optimisée.
Grâce à la réforme du 23 juin 2006, ces dispositifs offrent des solutions flexibles et avantageuses pour la transmission de biens, alliant sécurité juridique et optimisation fiscale.
Les notaires, par leur expertise, jouent un rôle déterminant dans la mise en place de ces stratégies et s’assurent que les transmissions patrimoniales se déroulent de manière fluide et conforme aux souhaits des disposants.
En comprenant et en utilisant ces dispositifs, les disposants peuvent assurer la pérennité de leur patrimoine et offrir à leurs héritiers des conditions de transmission fiscalement optimales et sécurisées.