En France, il n’est pas possible de désigner librement ses héritiers : les enfants en font obligatoirement partie. Mais les politiques se sont saisis du sujet, qui va faire débat au cours des prochains mois. Et il est d’ores et déjà possible, si l’on ne souhaite pas avantager ses enfants, de contourner partiellement cette contrainte.

« En France, on n’a pas le droit de déshériter ses enfants ». Cette petite phrase résonne dans toutes les têtes depuis l’hiver 2018, lorsque les Français ont pris connaissance des dispositions prises par Johnny Hallyday pour sa succession. Ses deux aînés se retrouvent totalement écartés de la succession au profit de sa dernière épouse, ce qui est en totale contradiction avec le droit français.

Le sujet est au cœur de l’actualité

Pourtant, la question du droit à choisir librement ses héritiers refait bel et bien surface. La réserve héréditaire, cette part d’héritage qui revient obligatoirement aux enfants, ou, en l’absence d’enfants, au conjoint, pourrait être remise en cause.

Certains en frémissent d’avance : pour eux, transmettre à sa descendance est un acte naturel et légitime, et ils sont choqués qu’on puisse envisager d’autres issues. Pour d’autres, le débat qui s’ouvre constitue au contraire une grande avancée, car ils revendiquent le droit à disposer de leur patrimoine comme ils l’entendent, même après leur mort.

Plusieurs think tanks planchent sur une réforme de la réserve héréditaire. France Stratégie avait lancé le mouvement en 2017. Récemment, GenerationLibre s’est prononcé en faveur de sa suppression, car elle concentre les richesses en faveur des mêmes mains. Au contraire, la fondation IFRAP, plutôt libérale elle aussi, prône son maintien.

Les politiques se sont aussi saisis du sujet. Gabriel Attal, secrétaire d’état auprès du ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, a demandé à l’Igas d’étudier une réforme de la réserve héréditaire, dans le but, notamment, de favoriser des legs plus importants en faveur des associations et fondations d’utilité publique. La ministre de la justice, Nicole Belloubet, a constitué un groupe de travail qui lui remettra un rapport en octobre. Une mission parlementaire a également été constituée sur le sujet.

Chez les professionnels du droit, la réserve héréditaire occupera une place de choix dans les débats des Universités de la Famille, qui se tiendront les 16 et 17 mars 2020 à Cannes, à l’initiative de l’association Notaires Conseils aux familles. Marc Nicod, professeur agrégé, spécialisé en droit de la famille à l’université de Toulouse 1 Capitole, y animera un atelier consacré à la question.

Il faut donc s’attendre à des bouleversements en matière de droit des successions. Mais ceux qui réfléchissent dès aujourd’hui à la façon dont sera réparti leur patrimoine après leur mort ont tout de même quelques solutions s’ils souhaitent contourner le principe de la réserve.

 

 Que dit la loi aujourd’hui ?

Actuellement, la loi leur impose, s’ils ont un enfant, de lui laisser au minimum la moitié de leurs biens. S’ils ont deux enfants, ces derniers se partagent obligatoirement les deux tiers de la succession. En présence de trois enfants ou plus, la réserve héréditaire est constituée des trois quarts de l’actif successoral. Et si le défunt n’a pas d’enfant, mais laisse une femme ou un mari, il doit lui transmettre au minimum le quart de ses biens.

Le reste de la succession est appelé la quotité disponible : il est possible d’en disposer librement. On peut choisir de le partager entre ses enfants, ou de l’utiliser pour favoriser un de ses enfants qui connaît des difficultés. On peut également décider de le transmettre à un ami, à son conjoint, ou à une association ou fondation d’utilité publique.

 

Des solutions existent pour contourner la réserve héréditaire

 

Pour ceux qui jugent que la quotité disponible est trop faible et que leurs enfants sont à l’abri, plusieurs solutions existent.
La première, et la plus évidente, c’est l’assurance vie. En effet, les sommes laissées sur ces contrats n’entrent pas dans l’actif successoral. Il est donc possible de loger des montants importants dans ces contrats et de désigner comme bénéficiaire une personne qui ne fait pas partie des héritiers légaux. Attention toutefois : les tribunaux donnent souvent raison aux enfants qui contestent les primes manifestement exagérées, et exigent que ces sommes soient réintégrées dans la succession. Pour éviter les recours, il faut transmettre un contrat sur lequel des versements et des rachats ont été effectués régulièrement, au fil de l’eau, pendant la vie du souscripteur.

 

La seconde solution, c’est de faire sortir de l’actif successoral le bien le plus important que l’on possède souvent : la résidence principale. Comment ? C’est très simple, en la vendant en viager. Au moment de la vente, on touche un bouquet, une somme importante dont on dispose à sa guise, et jusqu’à son décès, on perçoit une rente. Mais après, c’est l’acquéreur qui récupère le bien, et les héritiers, réservataires ou non, n’ont plus aucun droit dessus.

Autre porte de sortie : la clause de tontine dans un achat immobilier commun. Au décès du premier, le survivant est considéré comme ayant toujours été le propriétaire. Le bien acheté avec une clause de tontine sort donc, comme avec le viager, de l’actif successoral. Mais la tontine est extrêmement contraignante : en cas de conflit entre les deux co-acquéreurs, il n’y aura pas de partage judiciaire possible.

Une technique plus complexe et plus lourde consiste à s’expatrier dans un pays qui ne connaît pas la réserve héréditaire, comme le Royaume Uni, et à faire appliquer la loi locale à sa succession. Le règlement européen du 17 août 2015 stipule d’ailleurs que lorsqu’aucun choix explicite n’a été fait, la loi applicable à la succession est celle du dernier pays de résidence du défunt. Une bonne initiative, mais pour certains, la réponse n’est pas évidente. Les héritiers de Johnny Hallyday se disputent encore aujourd’hui pour savoir si son véritable domicile était la France ou les Etats-Unis, car cela déterminera la loi applicable à sa succession. Pour davantage de sécurité, et éviter les contestations, il est utile de se rendre chez son notaire pour rédiger une professio juris, c’est-à-dire une déclaration qui stipule, noir sur blanc, que l’on choisit la loi applicable à sa succession : celle de son pays de résidence, ou celle de son pays de nationalité. Mais ceci implique un changement de vie parfois radical…

 

Il arrive aussi de penser que son mari, ou sa femme, est déjà bien doté(e), avec une carrière complète, des revenus de retraite confortables, et un patrimoine conséquent. On peut avoir envie, dans ce cas, de tout laisser à ses enfants. Il est possible, alors, de déshériter son conjoint, avec ou sans son accord.

En l’absence de testament, le conjoint survivant peut choisir entre la totalité de la succession en usufruit et un quart de la succession en pleine propriété. Il a, en outre, un droit viager d’occupation du logement. Il est possible de supprimer ce droit en réalisant un testament authentique chez le notaire. Enfin, si la personne qui décède a des enfants, l’époux ne fait pas partie de ses héritiers réservataires. Il est donc tout à fait envisageable de spécifier par testament que l’on souhaite que ses biens reviennent aux enfants et à d’autres personnes.