Avec la révolution numérique, l’avènement de l’intelligence articifielle et des nouvelles technologies, nous sommes confrontés, après notre disparition, à de nouvelles questions liées à l’utilisation de nos modes de communication.

Par le passé il s’agissait d’un sujet purement inexistant, peu de nos défunts étant connectés, téléphones ou réseaux et les questions de l’après ne se posaient pas dans ces termes.

Aujourd’hui l’explosion du numérique, de la téléphonie et des réseaux sociaux entraîne de nouvelles problématiques ; celle de l’immortalité virtuelle.

C’est la pratique, ici, qui défriche les questions et génère ses propres solutions. Deux sujets principaux apparaissent pour l’instant : la survie de l’identité numérique et des comptes sur les réseaux sociaux, ainsi que l’intimité du défunt post mortem.

I. LA SURVIE DE NOS MESSAGERIES

Les téléphones et messageries ainsi que les réseaux sociaux (Instagram, Messenger, Facebook, WhatsApp….) contiennent une multitude d’informations intimes, et confidentielles dont nous ne souhaitons pas forcément que nos héritiers, et plus spécifiquement nos enfants, nos parents, découvrent après notre décès.

Certains éléments d’échanges sur ces supports relèvent de la sphère de l’intime pur. Des conversations, des photographies, que nos héritiers parcourent sans avoir le sentiment de porter atteinte à notre intimité. Ils souhaitent simplement et naturellement prolonger une forme de lien avec nous dans l’après et découvrent si ce ne sont des secrets, mais au moins des informations auxquels ils n’auraient jamais eu accès de notre vivant.

Que pourront-ils penser d’une conversation chargée d’émotion, échangée par message avec une personne en dehors de tout contexte ? Ai-je envie que ceux-ci aient connaissance de mes espaces d’intimité ? Quelle image ces accès ponctuels à ces éléments peuvent-ils leur laisser de moi quand bien même ils ne refléteraient qu’une partie de moi-même ?

Cette investigation postérieure n’est pas sans effet. Et pourtant, celle-ci n’est pas pensée à mal lorsqu’elle est initiée.

La question se posait hier s’agissant des correspondances papier. Cette interrogation est la même aujourd’hui, mais avec une multiplication des supports.

II. LA SURVIE DES COMPTES SOCIAUX

L’autre volet, et pas des moindres, concerne les profils sur les réseaux sociaux : quel est leur sort ?

L’effacement numérique des réseaux sociaux n’est pas si simple en pratique. C’est ce que nous constatons dans notre activité professionnelle.

En effet, nos identités numériques subsistent après notre décès, et parfois même s’activent à nos dépens post mortem. Un compte posthume sur les réseaux sociaux peut-il faciliter le deuil de mes héritiers ? Mon souhait est-il que chacun se rappelle de la date de mon anniversaire ou de mon décès, y compris mon voisin de la fac, ajouté en ami dans les années 2000 et avec lequel je n’ai plus de lien ?

Supprimer les comptes est pourtant difficile à faire spontanément, il s’agit bien souvent symboliquement d’un deuxième deuil.

La problématique est simple, comment effacer de ma propre volonté, post mortem, ces bribes de vies stockées.

III. FORT DE CELA QU’EST CE QU’UN NOTAIRE PEUT FAIRE POUR RÉPONDRE À CETTE NOUVELLE DEMANDE ?

En l’état du droit, peu de textes régissent ces problématiques. L’article 85 de la Loi informatique et Liberté (https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes#article85) prévoit une faculté pour les héritiers de demander une actualisation du compte du défunt auprès des opérateurs.
La CNIL s’est également posé la question, https://www.cnil.fr/fr/mort-numerique-effacement-informations-personne-decedee. Il en ressort pour la partie réseaux sociaux, que seule la volonté exprimée du défunt s’avère la solution la plus efficace.

En pratique, pour la survie d’une volonté post mortem, le Droit a créé le testament. C’est une voie, celle permettant d’exprimer une volonté, qui pour toute action dans ce domaine est impérative.

Mais deux questions se posent, comment puis je exprimer cette volonté alors que je n’ai pas conscience du problème ? Et comment puis je être sur de l’efficacité de ma disposition.

L’expression de la volonté : le sacro-saint principe de l’autonomie de la volonté consacre le testament qui ne sera ouvert que postérieurement à ma disparition. Je peux y exprimer ce que je souhaite, ainsi que les codes et autres adresses que je veux voir disparaître pour permettre une action ultérieure de la personne qui sera chargée de débrancher mes sources de flux.

Toutefois, dans le cadre d’une anticipation sur les problèmes sociétaux non relayés par les médias, cette survie peut ne pas avoir traversé l’esprit du futur voyageur. C’est donc encore en amont que notre rôle s’inscrit. Il apparaît nécessaire lorsque les clients souhaitent organiser leur départ que le Notaire en profite pour évoquer le sujet. Ainsi comme en matière de mandat de protection future, ce n’est pas que l’institution soit boudée, c’est simplement que celle-ci n’a pas été expliquée ou proposée. Dans le cadre de rendez-vous de conseils, le Notaire revêtant l’habit du confident peut aisément amener le sujet dans la discussion et au moins éveiller ses clients sur ce problème. Si l’on peut gager pour certains que cette intimité n’a pas d’importance, pour d’autres cela peut devenir une vraie question à développer et traiter.

Face à cela, notre positionnement sera d’ouvrir les pistes d’une réflexion, à questions multiples, notamment dans le choix de la personne choisie pour procéder à ces suppressions de comptes ou de message. Peut-être le conjoint, voire l’un des enfants, mais pas tous, et éventuellement un professionnel. Le professionnel peut être alors proposé par l’entourage ou le Notaire dans les contacts dont il dispose, il est certain que la notion de secret doit être le fil directeur de ces actions. Le contenu du testament doit être adapté à la situation de chaque individu, et du degré d’intimité qu’il souhaite préserver.

Laisser des instructions à ce sujet, permet aux successibles de ne pas être tentés de faire cette démarche de chercher à en savoir plus sur moi. Ne pas laisser le choix, c’est également faciliter leur tâche dans la gestion de mon après. C’est également une façon de maîtriser la protection de son intimité dans un contexte où nous avons tendance à déverser dans les réseaux sociaux et nos messageries, une multitude d’éléments.

Cela pour nous, Notaires pourrait être un non-sujet, ce sont les générations suivantes qui seront de manière croissante les plus concernées. Mais notre devoir d’aujourd’hui n’est-il pas de s’adapter et de prévoir demain. A minima d’éveiller les consciences. Cette réflexion est tirée de faits réels et bien concrets rencontrés personnellement.

Il est à noter enfin, qu’une start up bordelaise s’est emparée du problème de l’effacement numérique et que de la même manière les Pompes Funèbres Générales intègrent dans le contrat, la manifestation de la volonté du souscripteur, prestation arrêt numérique facturé 49 euros.

Article écrit par : Maître Philippe JEAN