Les successions dans les familles recomposées sont souvent complexes. Dans bien des cas, les personnes concernées ignorent les conséquences de leur structure familiale sur la répartition de leurs biens après leur mort. Plus que jamais, dans ces situations, la consultation d’un notaire s’impose.

La succession de Johnny Hallyday a alimenté la presse (et les conversations) pendant près de deux ans. Elle a déchaîné les passions. Pour beaucoup de Français, qu’ils soient fans, ou non, du chanteur, l’affaire a au moins eu un mérite : celui d’alerter sur la complexité des successions dans les familles recomposées. Car si tout le monde n’a pas le patrimoine de Johnny Hallyday, de nombreuses familles se trouvent dans la même configuration. En 2019, selon l’Insee, ce sont 800 000 beaux-parents qui vivaient avec un ou plusieurs enfants de leur conjoint. Parmi eux, près de 500 000 partageaient également leur toit avec leurs propres enfants. Pour le droit, la famille recomposée représente un nombre de personnes encore plus élevé. Dans les successions, on parle de famille recomposée dès lors que tous les enfants ne sont pas issus de la même union. C’est le cas, par exemple, avec un remariage tardif, même lorsque les enfants ont déserté le foyer depuis longtemps et qu’ils n’ont techniquement jamais cohabité avec leur beau-parent. Les familles dans lesquelles les successions peuvent être compliquées sont donc très nombreuses.

Protéger son conjoint sans désavantager ses enfants, un exercice d’équilibriste

La difficulté, pour les personnes concernées, consiste à protéger le conjoint sans pour autant désavantager les enfants.

Dans le cas des couples mariés, la plus grande vigilance s’impose. Si aucune disposition n’est prise, lorsque les enfants ne sont pas tous issus du même lit, en vertu de l’article 757 du code civil, le conjoint peut revendiquer le quart du patrimoine du défunt en pleine propriété.

Il a également un droit viager d’occupation du logement si le défunt en était propriétaire, en vertu de l’article 764 du code civil.

Ces deux droits, qui servent à protéger le conjoint, peuvent aussi générer un important déséquilibre. Prenons l’exemple d’un couple remarié tardivement, sans enfant commun mais dans lequel chacun a des enfants de son côté. Si Madame décède en premier et laisse le quart de ses biens à Monsieur, à la disparition de Monsieur, ce sont les enfants de Monsieur qui hériteront de ce quart qui lui a été laissé par Madame. A l’inverse, si Monsieur décède en premier, Madame récupère le quart de ses biens, et ce sont ses enfants à elle, après son décès, qui en hériteront. Un déséquilibre fort entre les enfants des deux époux, lié uniquement à l’alea de l’ordre des décès. Dans tous les cas, avec le droit viager au logement, celui des deux qui reste occupe la résidence principale jusqu’à sa mort. Compréhensible s’il a le même âge que le défunt, plus difficile pour les enfants s’il a le même âge qu’eux…

Il est possible de déshériter l’époux, surtout s’il est déjà bien doté

Il est tout à fait possible d’anticiper ces déséquilibres et de le corriger. Si le conjoint a déjà une bonne situation et un bon patrimoine, il n’a peut-être pas besoin de recevoir sa part dans la succession. Il faut alors le déshériter et le priver de son droit viager d’occupation du logement. Cette dernière procédure se fait par testament authentique, c’est-à-dire en présence de deux notaires ou d’un notaire et de deux témoins. Dans ce cas, ce sont les enfants du défunt, et eux seuls, qui hériteront. Ni le conjoint ni les enfants du conjoint ne prendront part à la succession, et le conjoint ne pourra occuper le logement que pendant un an.

Ceux qui souhaitent tout de même gratifier leur conjoint peuvent tout à fait le faire, en précisant dans leur testament qu’il recevra une proportion différente, inférieure aux 25% prévus par défaut. Ils peuvent également leur laisser le droit viager sur la résidence principale, mais sans laisser la pleine propriété du quart des biens.

Dans les familles recomposées, attention aux donations au dernier vivant

Certaines personnes, pour ne pas désavantager leurs enfants, laissent l’usufruit au conjoint sur tout ou partie de leur patrimoine. Les enfants sont alors nus propriétaires. Une situation simple à gérer si le défunt transmet des biens immobiliers. En revanche, la séparation de l’usufruit et de la nue-propriété doit être maniée avec précaution lorsque l’on souhaite transmettre des comptes en banque et des contrats d’assurance vie. En effet, ces derniers peuvent être purement et simplement vidés par l’usufruitier. Dans ce cas, il convient de donner des directives très strictes dans le testament, en prévoyant par exemple que seuls les intérêts produits chaque année pourront être consommés, mais pas le capital.

Attention, ces situations sont faciles à admettre pour les enfants du défunt dans les cas où l’entente est bonne, et où le parent et le beau-parent ont sensiblement le même âge. Lorsque le conjoint survivant est nettement plus jeune que le défunt, et qu’il a presque le même âge que les enfants, il vaut mieux, pour tous, que le survivant perçoive une part de la pleine propriété mais que les enfants puissent disposer librement du reste rapidement.

Dans les familles recomposées, lorsque le couple est marié, il faut à tout prix éviter de rédiger chez le notaire une donation au dernier vivant. Cette dernière laisse carte blanche au conjoint survivant, et il peut revendiquer jusqu’à un quart des biens en pleine propriété et trois quarts des biens en usufruit. Une situation, qui, là aussi, laisse les enfants sans aucun droit jusqu’au décès du conjoint, et qui peut s’avérer très difficile si le conjoint survivant est beaucoup plus jeune que le défunt.

L’adoption de l’enfant du conjoint, un acte fort

Mais les familles recomposées ne se déchirent pas toutes. Certains, en effet, élèvent pendant de nombreuses années un enfant qu’ils considèrent comme le leur, et souhaitent le gratifier au même titre que leurs propres enfants. Cela est possible en procédant à un acte fort, l’adoption simple de cet enfant. Si ce dernier est mineur, il faudra le consentement de l’adoptant, du parent marié avec l’adoptant, et de l’autre parent de l’enfant. Si l’enfant a plus de treize ans, il doit donner son consentement. S’il est déjà majeur, il faudra l’accord de l’adoptant, de l’enfant, et du parent de l’enfant conjoint de l’adoptant. Le consentement à l’adoption se recueille chez le notaire, et c’est le juge qui prononce l’adoption. Les enfants adoptés deviennent alors héritiers réservataires au même titre que les autres. A l’inverse, ils ont une obligation alimentaire à l’endroit du parent adoptant, comme ils l’ont avec n’importe quel parent.

Les concubins et partenaires de Pacs ne sont pas héritiers

Dans les couples qui ne sont pas unis par les liens du mariage, il n’y a pas, en théorie, de risque de succession complexe. Un concubin ou un partenaire de Pacs ne sont pas considérés comme des héritiers : seul un testament peut leur donner cette qualité. En l’absence de ce document, ce sont les enfants qui héritent de tout, et le droit viager d’occupation du logement n’existe pas. Il faut alors se demander clairement ce que l’on souhaite en cas de disparition, car il est tout à fait possible de gratifier son compagnon, sa compagne ou son partenaire de Pacs, dans une certaine mesure. Le mieux consiste à signer, le même jour chez le notaire, le Pacs et le testament. Ainsi, le notaire conservera le testament et il en signalera la trace au fichier central des dispositions de dernière volonté.

Voir à ce sujet notre article https://notaires-ncf.fr/pacs-testament-le-double-gagnant/

Enfin, dans certaines situations, il est possible de rééquilibrer la transmission au moyen de l’assurance vie. Celle-ci, à condition de ne pas verser de prime manifestement exagérée et de faire vivre régulièrement le contrat, est hors succession. Si les sommes concernées sont versées avant les 70 ans du souscripteur, il est possible de l’utiliser pour transmettre jusqu’à 152 500 euros par bénéficiaire sans aucun impôt. Utile, par exemple, lorsque l’on souhaite aider son compagnon ou sa compagne avec lequel aucun Pacs n’est signé. Utile aussi lorsque l’on veut aider un enfant qui n’est pas le sien, et que l’on n’a pas pu adopter. Il faudra toutefois remplir la clause bénéficiaire du contrat avec précaution.

Dans tous les cas, les successions préparées et anticipées sont souvent celles qui se passent le mieux. Il est important de demander à votre notaire ce que serait la situation de vos proches en l’absence de dispositions. Il pourra utilement vous conseiller pour rééquilibrer une répartition qui pourrait être vécue comme injuste.